Lorsqu’on dit à un juge qu’il ne « ressort pas du dossier » que l’étranger expulsé a des enfants nés en France, il se satisfait des limites offertes par le jeu du contradictoire, se contentant seulement d’aller vérifier si aucun mémoire en défense ne dispute ce fait, auquel cas il utilise la formule consacrée : « ce qui n’est pas contesté ». Face à une telle méthode, qui oblige à s’en tenir aux traces accumulées dans le dossier, le sang de n’importe quel chercheur ne ferait qu’un tour. […] C’est que le chercheur, par définition, confond le « supplément d’instruction » avec le travail de jugement. Il voudrait toujours en savoir plus […]. Mais, à ce compte, il accumulerait toujours plus de connaissance et ne jugerait toujours pas. L’instruction enflerait dans des proportions effrayantes et aucun arrêt n’en sortirait jamais. Sa libido sciendi serait peut-être satisfaite, mais la libido judicandi de ses mais juges resterait inassouvie. Le chercheur ferait justement de la recherche ; il ne jugerait plus. […]
Pour les juges, au contraire, la qualité de leur jugement dépend très précisément de leur façon d’éviter les deux écueils de l’ultra petita et de l’infra petita : juger au-delà, ou en deçà de ce qui est demandé par les parties en restant dans les strictes limites du contradictoire.
La fabrique du droit / Bruno Latour
Votre commentaire