[…] L’appel à la générosité et à la compassion, quand il vise à régler les problèmes sociaux, aboutit à une concurrence des victimes qui peut être source d’inégalité : se pencher sur le sort des uns, c’est ignorer les autres. A cela peuvent s’ajouter certains effet pervers : les bons sentiments ne font pas toujours de la bonne politique (des interventions récentes des Occidentaux en Irak au nom des principes humanitaires ont abouti à la destruction de l’État et favorisé l’essor du terrorisme). Cette critique politique repose souvent sur la distinction entre solidarité et bienveillance. Car après, il existe des formes d’assistance mutuelle qui ne reposent en rien sur l’empathie et l’attention à autrui. C’est le cas avec les systèmes d’assurance et de sécurité sociale. Quand une personne tombe malade, sa prise en charge ne relève pas d’un geste généreux d’inconnus mais de la prise en charge d’une caisse commune ou chacun donne son obole pour ses propres intérêts. Cette solidarité ne fait pas appel à l’empathie réciproque, mais à l’intérêt bien compris de chacun : le partage des risques. De la même façon, le droit issu de la protection sociale est plus égalitaire que la philanthropie, certes généreuse, mais qui s’adresse en général à une communauté, une victime pour laquelle le généreux donateur s’est ému.
Empathie et bienveillance, révolution ou effet de mode / Jean-François Dortier / Sciences Humaines n°293, juin 2017
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