« Selon une tradition religieuse étrusque, le Rex (étymologiquement : celui qui tire un trait) trace la première enceinte de la cité en creusant un sillon profond avec une charrue attelée à un bœuf. Le levée de terre constitue dès ce moment le premier mur. […]
On est sur le mont Palatin, en 753 avant J.-C. selon Tite-Live, lorsque Romulus entreprend de creuser son fossé. [Rémus] raille l’entreprise et en entrave l’exécution. A un moment, il saute par dérision par-dessus le fossé inaugural. Alors Romulus le tue. […]
On pense à cette belle diatribe de Rousseau dans son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1753) : Le premier qui, ayant enclos un terrain, s’avisa de dire : Ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. […]
Certes, Romulus dit plutôt ‘Ceci est Rome !’ que ‘Ceci est à moi !’ mais la démarche est la même : le mur, en l’occurrence le futur, crée à la fois l’appropriation et l’exclusion. Il manifeste la propriété, celle-là même que dénonce Rousseau dans sa vision ingénue de ‘l’homme naturel’, originel – le bon sauvage libre, sain, heureux. […]Anatole France le sceptique illustre ce néfaste avatar avec ses pingouins. Eux aussi vivaient en paix, comme le bon sauvage de Jean-Jacques. Et puis, lorsqu’ils ont commencé à vouloir ressembler aux hommes, ils ont entrepris de s’approprier des terres dans la plus grande violence. Le sage vieillard Maël s’effraie : ‘Ne voyez-vous pas, mon fils, s’écria-t-il, ce furieux qui coupe avec ses dents le nez de son adversaire terrassé, et cet autre qui broie la tête d’une femme sous une pierre énorme ? – Je les vois, répondit Bullog. Ils créent le droit ; ils fondent la propriété. »
Histoire des murs / Claude Quétel
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