L’économie est un sujet notoirement compliqué. Pour faciliter les choses, prenons un exemple simple.
Sam Cupide, financier malin, fonde une banque à El Dorado, en Californie.
A. Pierre, entrepreneur d’El Dorado qui monte, achève son premier gros chantier pour lequel il reçoit un million de dollars en espèces. Il dépose cette somme à la banque de M. Cupide. La banque détient maintenant un capital d’un million de dollars.
Dans le même temps, Jane Bonnepâte, chef cuisinière expérimentée mais impécunieuse à El Dorado, pense voir une opportunité de faire des affaires : la ville manque d’une boulangerie digne de ce nom. Mais elle n’a pas assez d’argent pour acheter une affaire […]. Elle va à la banque, [qui] lui accorde un prêt d’un million de dollars.
Bonnepâte fait alors appel aux services de Pierre, chargeant l’entrepreneur de construire et d’équiper la boulangerie. Il lui demande un million de dollars.
Quand elle le paie, avec un chèque tiré sur son compte, Pierre le dépose sur son compte à la banque Cupide. Combien d’argent Pierre a-t-il alors sur son compte en banque ? Exactement 2 millions de dollars.
Mais combien d’argent, d’espèces, se trouve exactement dans le coffre de la banque ? Un million de dollars.La loi bancaire actuelle, aux États-Unis, permet à la banque de répéter cet exercice encore [8] fois. L’entrepreneur finirait par avoir dix millions de dollars sur son compte alors même que la banque n’a toujours qu’un million dans ses coffres. Les banques sont autorisées à prêter dix dollars pour chaque dollar qu’elles possèdent réellement, ce qui veut dire que 90 % des sommes déposées sur nos comptes en banque ne sont pas couvertes par des pièces de monnaie ou des billets de banque. Si tous les titulaires de compte exigent soudain leur argent, c’est la faillite assurée [des banques] (à moins que les pouvoirs publics n’interviennent pour la sauver). […]
Ça vous a tout l’air d’une pyramide de Ponzi, n’est-ce pas ? Mais si c’est un montage frauduleux, alors toute l’économie moderne n’est qu’une fraude. Le fait est que ce n’est pas une duperie, mais plutôt un hommage aux ressources stupéfiantes de l’imagination des hommes.C’est notre confiance dans le futur qui permet aux banques – et à toute l’économie – de survivre et de prospérer. Cette confiance est l’unique support de la majeure partie de l’argent dans le monde. […]
Avant l’ère moderne, […] dans la plupart des cas, l’argent ne pouvait représenter et convertir que des choses qui existaient réellement dans le présent. La croissance s’en trouvait de ce fait sévèrement limitée, puisqu’il devenait très difficile de financer les nouvelles entreprises. […]
L’humanité est demeurée piégée par ce dilemme des milliers d’années durant. De ce fait, l’économie est restée figée. L’issue n’a été découverte que dans les Temps modernes, avec l’apparition d’un nouveau système fondé sur la confiance dans l’avenir. Les hommes consentirent alors à représenter des biens imaginaires – des biens qui n’existent pas à l’heure actuelle – par une forme de monnaie spéciale qu’ils nommèrent « crédit ». Le crédit nous permet de construire le présent aux dépens du futur. Il repose sur le postulat que nos ressources futures seront à coup sûr bien plus abondantes que nos ressources présentes.
Sapiens, une brève histoire de l’humanité / Yuval Noah Harari
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