Une économie de faveurs et d’obligations ne marche plus dès lors qu’un grand nombre d’inconnus essaient de coopérer. Une chose est d’apporter une aide gratuite à une sœur ou à un voisin ; une tout autre, de s’occuper d’inconnus qui ne pourront jamais payer de retour une faveur. On peut se rabattre sur le troc. Mais le troc n’est efficace que lorsque l’échange porte sur une gamme limitée de produits. Il ne saurait former la base d’une économie complexe. […]
Dans une économie de troc, le cordonnier et le pomiculteur devront chaque jour s’enquérir des prix relatifs de douzaines de marchandises. Si cent articles différents s’échangent sur le marché, acheteurs et vendeurs devront connaître 4 950 taux de change. Avec un millier de produits, il leur faut jongler avec 499 500 taux différents ! Comment s’en sortir ?
Et vous n’êtes pas au bout de vos peines. Même si vous parvenez à calculer combien de pommes vaut une paire de chaussures, le troc n’est pas toujours possible. Après tout, l’échange suppose que chaque partie veuille ce qu’offre l’autre. Et si le cordonnier n’aime pas les pommes ? Et si, à ce moment-là, la seule chose qu’il veuille, c’est le divorce ? Le cultivateur pourrait certes chercher un avocat qui aime les pommes et proposer un marché à trois. Mais si l’avocat en a assez des pommes, et ne demande qu’à se faire couper les cheveux ?
Certaines sociétés essayèrent de résoudre le problème en organisant un système central de troc […]. L’expérience la plus ambitieuse et la plus célèbre de ce genre fut menée en Union soviétique : ce fut un échec lamentable. En pratique, le principe du « chacun travaillait suivant ses capacités et recevait suivant ses besoins » se transforma en « chacun travaillait aussi peu que possible pour recevoir le plus possible ». […]
La plupart des sociétés trouvèrent une façon plus facile de rattacher un grand nombre d’experts : elles inventèrent la monnaie.
Sapiens, une brève histoire de l’humanité / Yuval Noah Harari
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