Fanny, qui vient d’avoir onze ans et qui a, plus que Marguerite, le sens de l’ennui, me demande si le temps passe pour moi aussi lentement que pour elle. Pour le moment, sept fois plus vite, lui dis-je, mais ça change tout le temps. Elle m’objecte que , ‘du point de vue de la pendule’, c’est pourtant le même temps qui s’égrène pour elle et pour moi. C’est vrai, dis-je, mais ni toi ni moi ne sommes cette pendule, laquelle, à mon avis, n’a aucun point de vue sur quoi que ce soit.
Et de lui faire un petit cours sur le temps subjectif, où elle apprend que notre perception de la durée est rigoureusement fonction du temps qui s’est écoulé depuis notre naissance. Elle me demande alors si chaque minute passe pour moi huit fois plus vite que pour elle. (Aïe, ça se complique.) Non, dis-je, si je les passe chez le dentiste pendant que tu joues avec Marguerite, certaines minutes me paraîtront même beaucoup plus longues qu’à toi.
Long silence. J’entends les rouages de sa petite tête chercher à concilier les notions de contingence et de totalité […].
Finalement, elle me fait la proposition suivante : Regarder ensemble la grande aiguille de la pendule, ‘pour obliger le temps à passer à la même vitesse pour toi et pour moi’. Ce que nous faisons, en donnant à cette minute commune le silence et la solennité d’une commémoration. […]
La minute écoulée, Fanny pose un baiser sur ma joue en concluant, avant de filer : Grand-père, j’aime quand je m’ennuie avec toi.
Journal d’un corps / Daniel Pennac
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