Ce sont ces plantes (le blé, le riz et les pommes de terre), qui domestiquèrent l’Homo sapiens, plutôt que l’inverse. Considérez un instant la Révolution agricole du point de vue du blé. Voici 10 000 ans, le blé n’était qu’une herbe sauvage, parmi tant d’autres […]. A peine quelques petits millénaires plus tard, il poussait dans le monde entier. Suivant les critères évolutionnistes de base de la survie et de la reproduction, le blé est devenu l’une des plantes qui a le mieux réussi dans l’histoire de la Terre. […]
Le blé y parvint en manipulant Homo sapiens à son avantage. […] En l’espace de deux millénaires, les hommes de nombreuses parties du monde ne devaient plus faire grand-chose d’autre, du matin au soir, que prendre soin de leurs plants de blé.
Ce n’était pas facile. Le blé exigeait beaucoup d’eux. Il n’aimait ni les cailloux ni les galets, ce qui obligeait les Sapiens à se casser le dos pour en débarrasser les champs. Le blé n’aimait pas partager la place, l’eau et les nutriments avec d’autres plantes, si bien qu’hommes et femmes passaient de longues journées à désherber sous un soleil de plomb. Le blé tombait malade […]. Le blé était attaqué par les lapins et les essaims de sauterelles […]. Le blé avait soif […].
Le corps de l’Homo sapiens n’avait pas évolué à ces fins. Il était fait pour grimper aux pommiers ou courser les gazelles, non pour enlever les cailloux ou porter des seaux d’eau. Ce sont les genoux, la voûte plantaire, la colonne vertébrale et le cou qui en firent les frais. […]
De surcroît, les nouvelles tâches agricoles [obligeaient] les hommes à se fixer à côté des champs de blé. Leur mode de vie s’en trouva entièrement changé. Ce n’est pas nous qui avons domestiqué le blé, c’est lui qui nous a domestiqués.
Sapiens, une brève histoire de l’humanité / Yuval Noah Harari